Chapitre
14
Hovan
Elena
fixait Nil. Ses yeux ne le quittaient pas d’un centimètre.
Qu’allait-il lui dire ? Qu’avait-il fait durant toute cette
semaine ? Où était-il parti ? Nil baissa les yeux. Il
avait commencé. Il devait dire ce qu’il avait à dire.
- Nil ?
- C’est tellement fou… ma mère… Ma mère était une Fô’limann.
- Ta mère ?! Mia ?
- Non… Mia m’a adopté. Mon père était du Tîî. Je… je ne sais pas pourquoi je te dis ça.
Nil,
le visage toujours baissé, sentit quelqu’un le prendre dans ses
bras. Il releva la tête. Elena lui souriait. Il était dans ses
bras.
- Ce doit être tellement dur pour toi, Nil. Surtout que… je sais. Je sais que ta mère ne fait plus partie des Yottominns.
- Tu l’as vue, c’est ça, marmonna Nil.
- Oui. J’aurais du te le dire… mais… je voulais que tu restes ici !
- Je ne t’en veux pas, souffla l’adolescent. De toute façon, je suis moi aussi banni.
Elena
ne répondit pas. Elle se serra un peu plus contre lui. Elle sentit
Nil frémir un peu. Puis elle aperçut le foulard attaché à sa
taille.
- Nil… j’ai cru que tu ne reviendrais pas. J’ai cru que tu resterais avec ta mère.
- Pourtant, tu m’as aidée à la retrouver. Tu m’as suivie.
Nil
fit une longue pause et entendit le cœur d’Elena battre la
chamade.
- Je te remercie.
Les
yeux verts d’Elena le transpercèrent lorsqu’elle redressa la
tête. Elle serra la chemise de Nil comme pour le retenir. Elle
murmura :
- Je sais pourquoi tu es revenu. Je ne suis pas idiote. Tu veux que je vienne avec toi.
- Elena ! Je…
- Chut… je te suis.
- Co-comment ? Tu es sérieuse ?
- Oui ! Si tu n’es pas là, je suis toute seule, et ça… je ne le supporte pas.
Elle
s’écarta un peu, les pommettes rouges. Nil n’en revenait pas. Il
n’avait même pas eu à la convaincre. Sans réfléchir, il lui fit
un baiser sur le front.
- Merci, Elena ! Merci.
- Euh… je…
- Quand partons-nous ? s’impatienta Nil.
- Tu es si pressé que ça ? Cette fois-ci, tu peux quand même prendre des affaires. Et n’oublions pas John et sa femme. Sans eux, je ne sais pas ce que nous serions aujourd’hui. Aussi, avant de partir, j’aurais aimé…
- Oui ?
- Il y a des bateaux qui rentrent d’exploration ce soir au port. D’immenses navigateurs seront là. Il y aura une grande fête ! J’aimerais y aller.
- Si tu veux. Je pourrais préparer mes affaires pendant ce temps.
- Avec toi.
Les
deux adolescents se dévisagèrent, et enfin, Nil hocha la tête en
souriant.
- C’est d’accord. Et demain, nous partons
- Oui.
Très
vite, le soir arriva. John et sa femme étaient très émus du départ
des deux adolescents. Pourtant, lorsqu’ils arrivèrent au port, ils
les laissèrent tous les deux. Une foule immense était regroupée
sur les quais. Des odeurs de poisson grillé flottaient dans l’air.
Un petit groupe de musique faisait l’animation. Nil tenait un petit
panier où Roy était caché. Soudain, Elena attrapa la main de Nil
et l’entraîna vers le bord de l’eau, à un endroit vide de
monde.
- Les bateaux vont accoster ici. Mais il y a encore du temps avant qu’ils n’arrivent.
Nil
hocha la tête. Les deux amis ne bougèrent pas. Ils attendirent.
Puis, enfin, une ombre au loin se découpa. La foule se regroupa
bientôt autour de la baie. Le soleil projetait une lumière
surnaturelle sur les bateaux. C’étaient d’immenses caravelles.
Nil avait déjà eu l’occasion de voir de petits navires au port
lors de ses sorties, mais jamais d’aussi grands. Leurs voiles
n’étaient pas descendues, et pourtant, une telle majesté se
dégageait de ces bateaux… Nil les fixait mais sentait qu’Elena
était très proche de lui. Elle lui attrapa la main. Il baissa la
tête vers elle, surpris. Mais elle ne le regardait pas. Ses yeux
verts brillaient. Elle était émerveillée.
Nil
détourna le regard et son attention se reporta sur les navires. Ils
étaient tout près à présent et on pouvait apercevoir leur
équipage. Le peuple sur les berges les acclamait. Puis, les bateaux
s’arrêtèrent à quelques mètres du quai. Il y en avait trois.
Les équipages s’avancèrent sur les ponts.
Tout
à gauche, celui qui semblait être le capitaine avait un visage
basané et un foulard. Deux dagues pendaient à une ceinture. Dans le
bateau central, le capitaine avait l’air très âgé, mais son œil
droit brillait. Le second était recouvert d’un bandeau noir. En
regardant le troisième navire, Nil eut un étrange sentiment. Un
homme. Un seul homme sur le pont. Il n’y avait que lui car
visiblement, son équipage était déjà sur les quais. Mais cet
homme… Pourquoi donnait-il une impression aussi étrange à Nil ?
Ses cheveux noirs étaient ébouriffés, son nez était droit et une
barbe de trois jours recouvrait ses joues. Il portait un long manteau
de cuir et une gigantesque épée était attachée dans son dos. Son
regard balaya l’assemblée. S’arrêta net. Il regardait Nil.
Celui-ci, mal à l’aise, déglutit. Elena se mit à serrer sa main
très fort. Avait-elle la même impression que lui ? La place se
vida petit à petit, les équipages partirent faire la fête avec les
habitants. Le capitaine du troisième navire aussi était parti.
Les
deux adolescents jouaient avec Roy dans l’eau. Elena semblait
triste. Alors que Nil allait lui demander ce qui n’allait pas, des
bruits de pas se rapprochèrent. Les jeunes se retournèrent et
sursautèrent. Lui.
Son regard les transperça. Le « troisième des capitaines »
s’avança vers Elena et demanda :
- C’est un youm ? C’est rare d’en voir ici.
- O-oui, bredouillèrent Elena et Nil.
- Pourquoi restez-vous ici ?
Ils
ne répondirent pas. L’homme plissa les yeux.
- Vous savez…, reprit-il, quand je vous ai vus tout à l’heure… J’ai eu l’impression que je devais vous parler. Vous me faites penser à quelqu’un.
- Qui ça ? l’interrogea Elena.
- Ça n’a pas d’importance. Seulement… c’est votre regard insistant qui m’a attiré vers vous. Quels sont vos noms ?
- Nil.
- Elena.
- Nil… est-ce le hasard, ou bien ton prénom est d’origine Yottominn ? Trois lettres. C’est pour ça que je demande.
- Je… oui.
- Nil ! s’exclama Elena. Tu penses pouvoir tout dire comme ça à un inconnu
- Vous pouvez me faire confiance, assura celui-ci. Je m’appelle Hovan.
- Je… je suis un Yottominn, murmura finalement Nil.
- Je m’en doutais.
Etrangement,
le regard de Hovan s’était fait plus dur. Il soupira et fit :
- Je me trompe peut-être, mais je dois absolument vous parler.
- Nous parler ?
Ils
étaient assis à une table. Finalement, les adolescents avaient
suivi le navigateur. S’il avait quelque chose d’important à leur
dire, autant l’écouter. L’homme sortit une cigarette de sa poche
et l’alluma. La porta à sa bouche. Il dévisagea Elena, puis Nil.
- Tout d’abord, ça concerne Nil. Si tu ne veux pas que ton amie en sache quoi que ce soit, je comprends.
- Non. Je veux qu’elle reste là, rétorqua Nil qui devenait de plus en plus nerveux.
- Vous devez savoir que je suis un navigateur assez renommé, en tout cas dans le Sud. Je suppose que vous n’avez jamais vraiment voyagé, mais bon, ce n’est pas grave. Je suis né sur un bateau, en mer, pendant le voyage d’un homme, il y a un peu moins d’une vingtaine d’années. Ma mère est morte lors d’une tempête. Mon père était le propriétaire du bateau, le capitaine. Il était âgé d’à peine dix-neuf ans. Je suis une naissance accidentelle, si vous voulez.
- Vous n’êtes pas obligé de nous dire ça, murmura Nil, gêné pour le navigateur.
- Si, j’y tiens. Bref, un jour, nous avons accosté ici. J’avais deux ans, peut-être moins. Mon père a disparu pendant plusieurs années, je dirais cinq ans. Pendant ce temps, j’étais dans une famille d’accueil sur cette île. Car nous sommes sur une île. Peut-être que vous l’ignoriez. J’avais sept ans quand mon père revint. Je me souviens de lui complètement sale et fatigué. Il était très bizarre, inquiet et angoissé. Je me rappellerais toute ma vie de cette journée. Il quitta l’île avec moi le plus rapidement possible, sans explication. Ce jour là, nous étions le dix avril.
- Le dix ? Vraiment ? s’étonna Nil. C’est deux jours après mon anniversaire.
- Et trois avant le mien, compléta Elena.
- Alors tu dois être la bonne personne, Nil. Ecoute attentivement. L’année de mes neuf ans, mon père dut partir pour une longue expédition, qui lui prendrait plusieurs années. Il m’a donné quelque chose qui changea ma vie. Une lettre. Je devais la remettre à quelqu’un. Quand j’appris qui elle était par rapport à moi, j’ai décidé d’y consacrer ma vie. J’ai beaucoup voyagé pour retrouver cette personne. Je n’ai jamais pu revoir mon père depuis. Cette lettre est destinée à mon frère.
- Ton… ton frère ? balbutia Nil.
- C’est toi.
Hovan
écrasa sa cigarette par terre et sortit une enveloppe abîmée de sa
veste. Cet instant parut durer une éternité pour Nil. Il tremblait.
Ça ne se pouvait pas ! C’était impossible. Impossible. Cet
homme de vingt ans, même moins, ne pouvait pas être son frère !
Et pourtant… toute son histoire semblait indiquer le contraire. Nil
fixa le présumé frère qui lui tendit l’enveloppe. Nil, en
tremblant, sortit lentement la lettre. Une boule dans la gorge, il la
déplia. Il jeta un regard à Elena qui semblait désespérée. Puis
à Hovan. Celui-ci semblait de marbre. A part un détail. Ses yeux.
Une détresse et une émotion immenses s’en dégageaient. Nil,
troublé, se mit à lire.
Sans
pouvoir oublier le vert des yeux de Hovan.
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