jeudi 28 février 2013

Chapitre 8 (Nil)






Chapitre 8

Fuir à tout prix


    Nil recula de quelques pas vers l’intérieur de sa cabane. Une peur énorme tordit ses entrailles. Il se plaqua contre un mur et ne bougea plus. Il vit du coin de l’œil une dizaine d’hommes s’engouffrer entre les maisons. Ils portaient des torches dans les mains et enflammaient les cabanes, les jardins, les potagers. Nil croyait à chaque fois qu’il serait le prochain à voir sa maison brûler. Soudain, il entendit quelqu’un hurler son prénom. Il reconnut la voix de Mia et sentit sa gorge se serrer.
    Elle lui hurlait de s’enfuir. Ou peut-être que ce n’était que son imagination. Soudain, en face de lui, il sentit une immense chaleur émaner. Il voulut reculer. Quel idiot ! Il était déjà plaqué contre un mur. Mais s’il se décalait sur le côté, les Fô’limans risquaient de le voir, et alors… Mais d’ailleurs, pourquoi attaquaient-ils le village ? Est-ce que… est-ce que c’était de sa faute ? Peut-être qu’on l’avait vu avec Elena ! Nil n’eut pas le temps de répondre à sa question, que le mur d’en face s’enflamma. Des cris d’hommes retentirent derrière. Nil n’eut pas le choix. Il sortit en trombe de sa maison en feu. Après plusieurs enjambées, les coups, les égratignures, les bleus qu’il avait reçus le ralentirent.


    Il dut stopper sa course et s’adossa à un vieil arbre. Puis il sursauta. En face de lui, il aperçut plusieurs villageois cachés dans les buissons. Mia en faisait partie. Elle lui faisait de grands signes, le visage déchiré par l’effroi. Nil se retourna. Le noir tomba brusquement devant ses yeux. Des voix retentirent à ses oreilles. Un tissu l’enveloppa. Puis on l’assomma. Plus rien.


    Elena pleurait. L’eau du lac reflétait son visage triste et impuissant. Elle avait essayé. Elle avait tenté de les retenir. Tout ça était sa faute. Elle pensa alors à Nil. Ses grands yeux verts s’élargirent de frayeur. Il était en danger.



     Quand Nil reprit connaissance, il se trouvait dans une pièce sombre et humide. D’autres silhouettes humaines se découpaient à ses côtés. Presque toutes étaient encore inconscientes. Nil voulut se lever, mais ses bras et ses jambes étaient retenus par des chaînes. Il soupira, puis réalisa dans quel pétrin il se trouvait. Il allait rapetisser pour s’échapper de ses chaînes, mais après, que ferait-il ? Il n’avait pas le courage de réfléchir à tout ça, en plus, il avait un mal de crâne à mourir. Il se rendormit.
    Lorsque la porte de la pièce s’ouvrit à la volée, Nil crut qu’il n’avait dormi que quelques minutes, mais il avait sûrement tord. Deux hommes se tenaient à l’entrée, l’air menaçant. Ils ne dirent rien, mais prirent avec force un des occupants de la pièce. Nil le reconnut, il faisait partie de son village. Il tressaillit. Tous ceux dans cette pièce aussi en faisaient partie. Les deux hommes repartirent avec le prisonnier et prirent soin de bien refermer la porte. Dans la « cellule », tout le monde se taisait. Tout le monde écoutait.
     Un cri déchira le silence. Il venait de dehors. Puis plus rien. Silence total. Tous se regardèrent, l’œil inquiet.
-      Nil ? murmura une voix.
-      Stë !
    Les deux adolescents se jaugèrent un long moment sans rien dire. Nil détourna le regard le premier. Pourquoi cet idiot s’était lui aussi fait attraper ?
-      Il me reste du pain, Nil. Ils ne nous donnent rien à manger, ici. Je ne peux pas partager avec tout le monde, et de toute façon on va tous mourir. Tiens, mon pain.
    Il tendit un vieux croûton à Nil. Celui-ci ne savait pas s’il devait accepter. Une douleur au bras lui rappela ce que son rival lui avait fait. Et tout d’un coup, cette soudaine gentillesse ? Trop fier pour accepter, Nil rétorqua :
-      Garde ça. Je n’en veux pas.
-      Tu es sûr ?
-      Oui !
-      Tant pis, marmonna Stë.
    A la surprise de Nil, il ne mangea pas le pain, mais le rangea dans sa tunique. Nil resta là, à attendre que le temps passe. Personne ne parlait. Sans s’en rendre compte, la nuit tomba. Très peu des personnes présentes dans la pièce s’endormirent. Tout le monde avait peur. Le lendemain arriva vite et les deux hommes revinrent pour prendre quelqu’un d’autre avec eux.
    Un silence tendu prit alors place. Un long hurlement d’agonie se fit entendre. Une femme se mit à sangloter. Beaucoup fermèrent les yeux. D’autres tremblaient. Chaque jour, le même manège se répétait. Plus le temps passait, plus Nil redoutait d’être le prochain à se faire tuer. Il pensa à Elena. L’aiderait-il à s’enfuir ? Peut-être était-elle aussi en danger ? Et le reste du village, que devenait-il ?
    Dix jours étaient désormais passés, le croûton de Stë avait finalement été partagé entre les deux garçons. Peut-être même qu’une complicité été née entre eux. Sûrement parce qu’ils étaient à deux doigts de mourir. Les deux hommes qui venaient chaque jour prendre quelqu’un d’autre s’avancèrent vers les deux adolescents et les examinèrent en silence. Puis sans un mot, ils attrapèrent d’une main de fer Stë.
    Une frayeur que Nil n’avait jamais vue chez lui traversa ses yeux. Il se laissa pourtant faire, comme tous les autres avant lui. Le ventre de Nil se noua en voyant son rival s’éloigner. La porte claqua et l’adolescent sentit un filet de sueur sur sa tempe. Son souffle se saccada, mais il ne bougeait pas, il ne disait rien. Seule son anxiété se faisait grandissante à mesure que les minutes passaient. Le cri tant redouté arriva. Nil vit le monde s’écrouler. Oui, c’était exactement ça. Son corps tremblait. Il était tellement impuissant ! Il aurait du tenter quelque chose ! Puis, chose inhabituelle, la porte se rouvrit. Les deux hommes se saisirent d’une autre personne. Pourquoi ? Pourquoi n’attendaient-ils pas le jour suivant comme à chaque fois ? Le long cri d’agonie reprit. Comme à chaque fois. A ce train là, Nil deviendrait complètement fou. Ils revinrent trois fois. Trois fois Nil entendit le hurlement. Ils n’étaient plus que quatre dans la pièce. La porte s’ouvrit une nouvelle fois et un des deux hommes empoigna Nil. Il réagit à peine. Ils détachèrent ses chaînes et le  sortirent. La lumière du jour aveugla l’adolescent. Puis il réussit à s’y habituer et put voir le village des Fô’limans. Des bannières blanches étaient plantées au sol et le symbole du village y était représenté. Peu de gens étaient présents sur ce qui semblait être la place principale. Les bâtiments avaient l’air beaucoup plus solides et avancés que ceux du village de Nil. Un des deux hommes se replaça devant la porte de la pièce où étaient gardés les habitants du village de Nil.
    Un frisson le parcourut. Qu’allait-il devenir ? L’homme l’amena bien plus loin, devant un grand bâtiment. Une foule se pressait à l’entrée, et une grande agitation était présente. Certains se retournèrent sur le passage de Nil, mais tout le monde s’écartait pour le laisser passer. Puis, Nil aperçut une grande cage où un vieil homme était assis. En voyant le garçon, il hurla à la mort. Comme s’il agonisait. Comme si on l’exécutait.
-      Fais pas attention à lui, cracha l’homme. Et ne tente rien pour t’enfuir.
    Nil ne répondit pas. Seule une énorme vague de soulagement le traversa. Le cri de ce vieillard. C’était celui qu’il avait entendu chaque jour, et à chaque fois, il avait cru que l’on exécutait quelqu’un. Comme s’il avait pu se douter que cet homme était la vraie raison de ce cri.
    Le Fô’liman le fit alors entrer dans le grand bâtiment. Il n’y avait presque aucun meuble. Mais il y avait assez de gens pour combler les vides. L’homme clama d’une voix forte :
-      Voici le Yottominn !
-      Laissez-le là, répondit une voix forte.
    Le Fô’liman sortit de la pièce, laissant Nil au regard de ses ennemis. Ils n’avaient pas l’air particulièrement haineux. Un vieil homme s’approcha et examina l’adolescent, l’air dubitatif. Puis il dit :
-      Tu as de beaux yeux verts. Suis-moi.
    Nil, surpris par cette entrée en matière, le suivit sans faire d’histoire. Il était à présent à l’autre bout du bâtiment. Les personnes présentes regardaient Nil avec intérêt. Elles étaient debout autour d’une table, couverte de nourriture. Nil entendit son ventre gargouiller.
-      Comment t’appelles-tu ? lança l’un d’eux.
-      Je… je suis Nil.
-      Elena ! cria l’homme qui venait de lui parler.
    Nil frémit. Elle était là. Pas loin. Son cœur se mit à battre la chamade. Il n’osa pas se retourner, mais il savait qu’elle était derrière lui. Il le sentait. Il l’entendit murmurer :
-      Vous… vous m’avez appelée ?
-      Est-ce lui ? reprit l’homme plus fort. Il s’appelle Nil.
-      Je…
-      Est-ce lui ?!
-      Oui, souffla Elena.
-      Quelle déception, Elena, fit le vieil homme. Je te pensais plus raisonnable. Et toi jeune homme, nous confirmes-tu que tu étais présent il y a dix jours dans les roseaux ? Avec une jeune femme ?
-      Comment ? s’étonna Nil. Avec Liz ? Je ne pensais pas que…
-      Nous avons surpris Elena dans la forêt ce jour là. Elle a été obligée de tout nous avouer. Elle voulait voir ton village, d’après ce qu’elle nous a dit. Elle t’a épié.
-      C’est seulement pour ça que vous avez attaqué notre village ?! s’écria Nil.
-      Bien sûr que non.
-      Mais… mais pourquoi alors ? articula l’adolescent. Qu’avons-nous fait ?
-     Rien du tout, répondit tranquillement le vieillard. Seulement, notre chaman nous a dicté une bien triste prophétie.
-      Qu’est-ce qu’il a dit ?
-      Et bien… que ta tribu détruirait la notre. Alors nous avons décidé de vous devancer. Malheureusement, il semblerait que le chaman se soit trompé, et en plus, il est devenu fou. C’est l’homme qui était à l’entrée et qui criait.
-      Et les autres ? réalisa soudain Nil. Où sont les autres que vous aviez capturés?
-      Relâchés, évidemment. Je voulais juste m’assurer que parmi les prisonniers, il y en avait un qu’Elena aurait vu. J’avais raison.
-      Mais pour notre village ? Tout y est détruit !
-      Cela ne nous concerne pas, répondit froidement le vieil homme. Nous restons ennemis, et cette attaque prouve que nous vous sommes bien supérieurs.
    Le ton du vieil homme surprit Nil qui recula un peu. Il buta contre quelqu’un. Elena. Son cœur reprit son rythme effréné.
-      Elena, raccompagne ce jeune homme à la lisière de la forêt. Je vais libérer les autres.
    Elena prit Nil par le bras qui sentit ses joues se réchauffer. Il se retourna alors pour la regarder, mais elle ne lui adressa pas un seul regard. Elle tremblait.
    Ils sortirent du bâtiment, et Nil sentit une immense colère monter en lui. Ces Fô’limans auraient mieux fait de l’achever. Son village, sa mère, Roy et tous les autres. Les Fô’limans avaient tout détruit à cause d’une prédiction. Et ils espéraient quoi maintenant ? Qu’on les laisse tranquille ? Nil se dégagea de l’emprise d’Elena avec rage. Elle s’arrêta de marcher brusquement et le regarda, étonnée.
-      Quoi ? railla Nil.
    Il regretta aussitôt son ton. Elle baissa la tête et sourit.
-      J’ai essayé de les retenir, tu sais. Mais ils m’ont menacé de me faire exiler.
    Nil ne dit rien. Ils reprirent leur marche jusqu’à la forêt. Arrivés au point de séparation, Elena leva ses grands yeux verts sur Nil.
-      Je suis désolée pour tout ce qui t’arrive.
-      Tu n’aurais pas du venir voir mon village, souffla-t-il simplement.
-      Je n’étais pas venue pour le village, fit-elle en rougissant. Mais pour toi. Je voulais te voir avec tes amis, ta famille. Mais j’ai vu quelqu’un de seul.
    Nil détourna le regard.
-      Je n’ai pas vraiment d’amis.
    Il pivota, et commença à s’enfoncer dans les bois, mais Elena l’attrapa.
-      Nil ! Tout le monde me hait ici ! Je suis orpheline ! Promets-moi que nous pourrons nous revoir !
-      Oui. Bien sûr.
-      Je ne crois pas, non.
    Elena et Nil sursautèrent en entendant cette voix. Un homme sortit des buissons. C’était celui qui avait demandé le nom de Nil auparavant.
-      Elena, on t’avait dit qu’au moindre écart, ce serait l’exil. Je ne t’accorderais aucune faveur. Tu pars d’ici au petit matin.
-      Non… non ! Je vous en prie !
-      Tu partiras ! Est-ce bien compris ?
    Nil sentit la colère affluer en lui. Elena pleurait. Il attrapa sa main et cria :
-      Cours Elena !
    Sans se concerter, ils s’enfuirent. Loin. Très loin. Trop peut-être.

1 commentaire:

  1. J'aime de plus en plus cette histoire ! Jusqu'où va-t-elle nous mener :3 ?

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