mardi 29 janvier 2013

Partie 4 (Journal d'Eloïse)




Jeudi 08/10. 08 : 28.

Je m’en veux. Je suis trop nulle. J’ai gâché une des seules amitiés que j’ai eues. Je suis maladroite, bête et impulsive.
En plus, comment il a pu rentrer chez lui, si c’est sa mère qui devait le ramener vers six heures ? Il a dû l’attendre, tout seul, dehors.
Oh, je me sens trop coupable !
Je suis licenciée en première heure aujourd’hui. Le prof n’est pas là. Je dois être à l’école à neuf heures vingt.
J’irai lui demander pardon. Si j’ose…
Je suis trop nulle.
Nulle, nulle, nulle, complètement nulle. Eloïse, tu es nulle !


20 : 32.

Je suis allé lui parler. Horrible moment. Je me déteste.
Je me suis approchée de lui. J’étais sûre qu’il m’avait vue. Mais il faisait semblant de ne pas me remarquer.
« Mathis…
- …
- Mathis, écoute, je suis désolée.
- …
- Allez, s’il te plait, excuse-moi…
- …
- Bon… Mathis ?
- …
- Euh… Mathis Tocozza ?
- Non. Je ne te connais pas. Va-t-en. »
Je lui ai obéi. Je me suis sentie la plus misérable des misérables. J’aurais dû le rappeler, hier, avant qu’il ne parte. J’aurais dû lui dire que c’est pas de sa faute… J’aurais dû… J’aurais dû pleins de choses.
Maman et Papa aussi, je les déteste. Ils ne sont jamais là. Pourquoi ils ont choisi d’être tous les deux infirmiers ? Je ne les vois jamais. Je me sens trop débrouillarde.
Oups, téléphone ! J’arrive…


20 : 57.

C’était Mathis, au téléphone. Il m’a appelé. J’ai à peine dit « allo ? » qu’il a commencé à parler. Je l’ai reconnu grâce à sa voix : il ne s’est même pas présenté.
« Allo ?
- Eloïse, je suis désolé. Je n’aurais pas dû te crier dessus et partir, comme ça. Je m’en veux. Je… Excuse-moi.
- Euh, je t’excuse. Mais tu te trompes, c’est moi qui suis nulle… Pardon…Je t’ai accusé alors que tu n’avais rien fait, je…
- Non, c’est moi.
- Hm. Comme tu veux. Je pense que tu as quelque chose à me raconter. On fait un marché ? Tu me racontes puis je te raconte, ok ?
- D’accord. Je commence ?
- Oui.
- Avant, j’étais dans une autre école. Une plus grande. Une plus près de chez moi. Une plus pratique, quoi. Mais j’ai dû changer parce que… Parce qu’il y avait Solal. Et les autres. Une bande de gars racistes qui ne me supportaient pas. Ils me détestaient. Moi aussi, je les détestais. Je les déteste toujours, d’ailleurs. Ils m’ont ridiculisé, frappé, insulté, harcelé… Et… Et… Et je les déteste. C’est le jour où ils m’ont frappé, que j’ai arrêté d’aller à cette école. Le lendemain, ma mère et moi on a été voir ton école, qui est maintenant aussi la mienne. Et puis après, le jour où tu m’as demandé si j’étais nouveau… C’était mon premier jour dans cette nouvelle école. Tu connais la suite.
- Oui. Pauvre toi. Je te plains. Je… Je dois vraiment raconter, moi aussi ?
- C’est dans le marché. Allez, vas-y. Je ne me moquerai pas.
- Oh, il n’y a pas de quoi se moquer.
- Allez !
- Ben, quand j’avais neuf ans… Je… Je suis vraiment obligée de raconter ?
- Oui ! Allez… S’il te plait.
- Ça ne me plait pas.
- Bon… Pour me faire plaisir ! Allez…
- Quand j’avais neuf ans, j’avais… une sœur. Elle s’appelait Eléonore. Un jour, pendant les grandes vacances, on est allés en montagne, avec mes parents. Tous les quatre, en famille, on a fait une randonnée. On a trouvé un torrent, et on a commencé à le longer. C’était une jolie promenade. Ma sœur et moi, on courait devant. On s’amusait à se cacher, pour que les parents, quand ils passaient, nous trouvent. On a couru très loin, pour avoir le temps de trouver une bonne cachette. Je voulais aller de l’autre côté du torrent, pour me cacher dans un sapin. Il y avait une planche qui permettait de traverser au dessus de l’eau. Eléonore m’a dit que c’était dangereux, qu’il ne fallait pas. Elle me tenait. Elle était plus grande que moi – douze ans – alors elle était plus forte. Je lui ai crié dessus et elle m’a lâchée. J’en ai profité pour courir jusqu’au « pont ». J’étais décidée à traverser. Je l’ai fait sans problème, l’eau, trois mètres plus bas, ne me faisait pas peur. Je n’avais pas la notion du danger. Eléonore, elle m’a suivie pour me protéger. Elle avait le vertige. Moi, j’étais déjà de l’autre côté, et je me moquais d’elle. Elle n’avançait pas vite. Puis, j’en ai eu marre, et j’ai fait bouger la planche de l’endroit où j’étais. J’espérais que ça la ferait avancer ma sœur plus vite. Mais ça n’a pas marché. Elle n’a pas avancé plus vite. Elle… Elle… Elle est tombée. Dans l’eau du torrent. Et elle s’est noyée…
- Oh… Je… Je…
- Mh. Tu es désolé, tu me présentes tes condoléances, et tout et tout.
- Euh…
- Mes parents sont arrivés trop tard. Je leur ai tout raconté en pleurant. Ils ne m’ont pas grondée. Ils m’ont regardé tristement, puis ils ont commencé à chercher, en aval. J’aurais voulu qu’ils me grondent, me frappent, me maudissent… Mais ils n’ont rien fait. Je suis la fille qui reste, celle qui a tué l’autre. La petite meurtrière. Voilà…
- Je… C’est… Je veux dire… Ça doit pas être cool, pour toi…
- Non, c’est pas « cool » comme tu dis. J’ai l’impression que mes parents m’évitent. Ils partent tôt le matin, et rentrent tard le soir. Pendant les vacances, ils m’envoient chez mes cousins où mes grands-parents. Les seuls moments où je pourrais les voir, ils font tout pour que ça n’arrive pas.
- Mmmh. Tu crois qu’ils ne t’aiment plus ?
- Je sais pas. Franchement, j’en doute.
- Tu avais l’air heureuse et…
- Heureuse ? Oui, enfin… Les moments où j’y pense plus. C’est-à-dire quasiment jamais. Je mets un masque pour aller à l’école. Je ne fais même pas exprès. C’est habituel, maintenant. Un masque de petite fille équilibrée, heureuse, un peu mystérieuse. En vrai…
- En vrai, c’est pas ça ?
- Non. En vrai je me sens coupable de… »
Je me suis de nouveau mise à pleurer. Il a bredouillé un petit « au revoir » puis il a raccroché.
Je n’aurais jamais dû tout lui raconter. Je le connais à peine, et je lui raconte tout… Tout.
Lui aussi il m’a raconté, c’est vrai. Mais c’est pas pareil. Il a changé d’école. Moi, je ne peux pas changer de passé.
Je suis enchainée. Au secours ! 

2 commentaires:

  1. Tu as réussi à me faire avoir les larmes aux yeux ... Je suis d'accord avec toi, c'est la partie la plus triste que j'ai lu pour le moment.
    Mais en même temps, c'est assez touchant qu'ils se racontent chacun ce qu'ils gardaient au fond d'eux.

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    Réponses
    1. J'ai... J'ai réussi à te faire avoir les larmes aux yeux !? Waw ! Je n'en espérais pas tant !
      (Héhéhé !) Oui, je voulais qu'ils se racontent tous leurs problèmes, leurs secrets, pour que ça les rapproche encore plus.

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