mercredi 15 mai 2013

Chapitre 16 (Nil)


Chapitre 16


Les deux adolescents restèrent à se fixer sans un bruit. Roy, à côté d’eux, semblait retenir son souffle. Nil baissa finalement les yeux et dit doucement :
-         Alors… tu m’avais entendu. Et c’était bien toi le mot dans le foulard.
-          Oui.
Ils ne dirent rien d’autre, ne sachant que faire. Roy, quant à lui, s’impatientait. Il se frotta vigoureusement contre la jambe de Nil qui sursauta de stupeur. Le youm avança un peu pour inciter ses maîtres à le suivre. Nil se frotta les cheveux en souriant. Il prit la main d’Elena et courut derrière l’animal. Elena se mit à rire. Elle l’avait finalement retrouvé. Nil souriait. Enfin, ils se remirent à rire tous les deux.
La nuit était tombée. Roy dormait près du petit feu que Nil avait allumé. Elena n’était pas là car elle avait voulu se retrouver seule, sans aucune explication. Elle s’était enfoncée dans le bois tout proche. Après presque une demi-heure d’attente, inquiet, Nil décida de la retrouver. Il parcourut plusieurs mètres dans le noir, s’attendant à chaque instant à voir la jeune fille.

Soudain, il entendit un chant à quelques pas de lui. C’était elle. Il avança un peu plus et s’arrêta derrière les branches d’un buisson. Il les écarta et la vit. Elle était recroquevillée dans l’eau claire d’un petit étang. Ses vêtements reposaient sur la berge, à côté. Et elle fredonnait un air mélancolique. La scène rappela étrangement la première fois où Nil l’avait vue. Elle plongea sans prévenir sous l’eau, interrompant son chant. Elle réapparut à l’opposé, dans la lumière de la Lune. Ses cheveux mouillés luisaient dans la nuit. Elle se remit à fredonner, plus doucement, puis s’arrêta. Elle contempla alors les étoiles, et Nil la contempla. Elena retourna sur la berge où se trouvaient ses vêtements. Elle attrapa un grand drap et l’enroula autour d’elle pour se sécher.
Nil choisit ce moment pour la rejoindre. En l’entendant s’approcher, elle sursauta.
-          Depuis combien de temps es-tu là ? chuchota-t-elle.
-          Je ne sais pas trop… quelques minutes, bredouilla le garçon.
-          Bon, viens t’asseoir alors.
L’adolescent s’assit finalement à côté d’elle, pour murmurer :
-          C’était beau… quand… quand tu chantais.
-          Merci, mais ça n’est pas censé l’être. C’est un chant de mon village. On le chante… une semaine avant son anniversaire, pour être protégé et remercier les dieux de nous laisser en vie.
-          Une semaine avant son anniversaire ? répéta Nil. Mais alors…
-          Et oui, soupira Elena. Je viens seulement de le réaliser, mais cela fait maintenant un an que nous avons quitté nos villages.
Un long silence suivit ses paroles. Après quelques instants restés immobiles, Elena frissonna. Nil hésita, mais la prit au final dans ses bras. Elle sourit et ferma les yeux. Ils restèrent sans bruit, sans rien se dire très longtemps. Soudain, un cri d’oiseau fit sursauter Nil qui décida de retourner près du feu. Il voulut se lever, mais Elena s’était endormie. Alors Nil l’allongea lentement par terre et la recouvrit soigneusement de son drap en essayant de ne pas trop penser qu’elle était nue dessous. Il repartit en courant vers le petit camp qu’ils avaient dressé ensemble.
Roy accueillit l’adolescent avec joie. Celui-ci caressa brièvement l’animal, puis attrapa les sacs de provisions et de vêtements et fit signe au youm de le suivre. Ils retournèrent tous les deux rejoindre Elena après avoir éteint les dernières braises du feu encore chaudes. Elle dormait toujours. Nil sortit une grande et épaisse couette pour se tenir au chaud. Il s’allongea aux côtés d’Elena et prit le temps de la couvrir avec la couverture. Les yeux enfin clos, Nil s’endormit rapidement.

L’aurore remplaça bientôt la nuit et Nil dut se résigner à se lever pour repartir le plus vite possible. Elena était debout et s’était habillée. Elle foudroya Nil du regard, et malgré sa torpeur encore présente, elle cracha :
-          J’espère Nil… j’espère que tu n’en as pas profité !
-          Quoi ?
-          Ne fais pas l’étonné ! J’étais… j’étais nue !
Nil, ébahi, ne sentit pas ses joues s’empourprer d’un coup.
-          Mais non, balbutia-t-il. Jamais je n’aurais fait ça ! Tu me croyais comme ça ?
-          Euh… non. Excuse-moi.
Nil se leva et alla se rincer le visage avec l’eau du point d’eau. Il se retourna et au même moment, Elena murmura :
-          C’est un peu… gênant comme situation, hein ?
Elle se mit à rire doucement mais Nil la regardait bizarrement. Elle se forçait à rire.
-          Tu es sûre que ça va ? demanda-t-il.
-          O-oui.
Il s’approcha d’elle, car il voyait bien que ça n’allait pas. Il voulut lui prendre la main, mais Elena l’évita soudainement.
-          Hé ? Qu’est-ce qu’il y a ?
-          Rien du tout.
L’adolescente recula un peu, son visage était tordu par la peur. Et, sans prévenir, elle s’enfuit en courant malgré les appels de Nil.
Sans perdre de temps, le garçon attrapa les deux sacs et partit à sa recherche, plus inquiet que jamais. Roy courait devant. Après deux heures sans rien trouver, Nil s’affala par terre, désespéré.
Elena se trouvait dans une grande plaine rocailleuse, assise près d’une grosse crevasse, sur un rocher. Elle tremblait. De peur, d’inquiétude. Elle se tenait toute recroquevillée. Chaque bruit la faisait sursauter, chaque courant d’air lui arrachait un gémissement. Elle ne le croyait pas. Elle ne le croyait pas. Elle ne le croyait pas.
Après être restée quelques instants immobile, elle se remit en marche. Anxieuse comme jamais, elle se mit à détaler comme si elle était suivie. Elle poussa un long cri de surprise. Puis ce cri devint un hurlement de douleur. Elle était tombée dans la crevasse.
Nil n’en pouvait plus. La nuit commençait déjà à tomber. Il était harassé ; ses mains étaient pleines de sang à force de tenir les sacs, son visage était recouvert de poussière, ses jambes tremblaient à cause de sa marche forcée. Il ne la trouvait pas. Il observa le panorama devant lequel il se trouvait. Une plaine rocailleuse, pleine de rochers, de cailloux, de crevasses, de trous, d’herbe jaune et d’arbres morts. Une boule au ventre le saisit, sans qu’il sache pourquoi. Alors il avança, tout droit. Là-bas. Il lâcha les deux sacs. Roy le suivait en silence. Le vent ébouriffa les cheveux de Nil. Il sursauta. Quelqu’un appelait à l’aide. Sans écouter ses douleurs, Nil se précipita. Il arriva devant un amas de rochers et tendit de nouveau l’oreille.
C’était une voix fatiguée et triste. Elena était là, près de lui. Il continua de chercher, sans réfléchir et atterrit devant une crevasse. Il se baissa et écarquilla les yeux. Les grands yeux verts d’Elena le fixaient.
-          Nil ! s’exclama-t-elle. Tu es là ! Excuse-moi, excuse-moi !
-          Elena ! J’arrive… je… ne t’inquiète pas !
Il arracha une branche d’arbre et l’engouffra dans la crevasse, pour qu’Elena l’attrape, ce qu’elle fit sans tarder. Il tira de toutes ses forces et vit avec horreur ses doigts ensanglantés. Il souffla et mit toutes ses forces pour sortir Elena. Elle tendit son autre bras vers Nil qui l’attrapa fébrilement. Il la remonta vers lui en tremblant. Il ne vit pas la jambe cassée. Il ne vit pas les larmes. Il vit seulement qu’elle était là, avec lui. Ils se blottirent l’un contre l’autre, et même Roy ne bougeait pas. Puis Elena chuchota.
-          Je ne te croyais pas. Je pensais… je… j’avais peur.
-          C’est pas grave… moi aussi j’ai eu peur quand tu es partie.

-          Mais tes mains, Nil ! Elles sont en sang !

-          Et toi, ta jambe ! Elle est toute tordue !

-          Ce n’est rien, je vais bien, souffla Elena en tentant de se relever.

    Son visage se crispa, et elle retomba lourdement au sol.

-          Je crois, articula-t-elle, qu’elle s’est cassée.

-          Oh non ! Comment on va pouvoir continuer ? Il faut absolument que l’on trouve quelque part où te soigner !

-          On ne peut pas, Nil, murmura Elena. Il fait déjà presque nuit. Restons ici. Nous sommes tous les deux épuisés.

-          Mais je ne peux pas te laisser comme ça !

-          On n’a pas le choix.

    Elena s’assit contre un rocher en soupirant. Roy accourut vers elle et la jeune fille l’attrapa en souriant. Nil se leva lentement et partit chercher les deux sacs. En revenant, Elena essayait d’attraper une branche, en vain. L’adolescent s’en saisit et le donna à Elena.

-          Je vais essayer de faire une attelle, souffla-t-elle en prenant une branche qu’elle avait mise de côté.

-          Attends, je vais chercher un morceau de tissu.

    Il fouilla dans les sacs après avoir donner de quoi manger à Elena à Roy. Soudain, sa main buta dans un objet rectangulaire. Il le sortit du sac. Le livre que lui avait donné Hovan. Nil mourrait d’envie de l’ouvrir. Non. Il ne devait pas. Il le remit dans le sac et trouva finalement un foulard noir.

-          Voilà ! s’exclama Nil après avoir terminé l’attelle.

-          Merci, dit Elena.

    Elle se redressa un peu, et réussit à se lever avec maladresse, aidée par Nil. Elle marcha quelques mètres, le visage crispé. En revenant près de Nil, elle trébucha, mais se rattrapa de justesse.

-          Ça va ? s’inquiéta-t-il.

-          Oui.

    Finalement, Elena revint s’asseoir et contempla le ciel un moment.
-          Il fait déjà nuit.
-         
Nil ne disait rien. Ses yeux verts semblaient remplis d’émotion. Il rapprocha ses jambes contre son torse. Elena ne le questionna pas.
-          Tes cheveux ont beaucoup poussé, remarqua-t-elle.
L’adolescent se redressa en l’entendant dire ça. Ça faisait longtemps qu’on ne lui avait pas fait de remarque sur ses cheveux.
-         Les tiens aussi, fit-il en souriant.
La lune était haute dans le ciel. Il faisait froid. Elena avait une jambe cassée. Ils ne savaient pas où ils étaient. Mais ils étaient heureux.



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