Chapitre 16
Les
deux adolescents restèrent à se fixer sans un bruit. Roy, à côté d’eux,
semblait retenir son souffle. Nil baissa finalement les yeux et dit doucement :
-
Alors… tu m’avais entendu. Et c’était bien toi le mot dans le foulard.
- Oui.
Ils
ne dirent rien d’autre, ne sachant que faire. Roy, quant à lui, s’impatientait.
Il se frotta vigoureusement contre la jambe de Nil qui sursauta de stupeur. Le
youm avança un peu pour inciter ses maîtres à le suivre. Nil se frotta les
cheveux en souriant. Il prit la main d’Elena et courut derrière l’animal. Elena
se mit à rire. Elle l’avait finalement retrouvé. Nil souriait. Enfin, ils se
remirent à rire tous les deux.
La
nuit était tombée. Roy dormait près du petit feu que Nil avait allumé. Elena
n’était pas là car elle avait voulu se retrouver seule, sans aucune
explication. Elle s’était enfoncée dans le bois tout proche. Après presque une
demi-heure d’attente, inquiet, Nil décida de la retrouver. Il parcourut
plusieurs mètres dans le noir, s’attendant à chaque instant à voir la jeune
fille.
Soudain,
il entendit un chant à quelques pas de lui. C’était elle. Il avança un peu plus
et s’arrêta derrière les branches d’un buisson. Il les écarta et la vit. Elle
était recroquevillée dans l’eau claire d’un petit étang. Ses vêtements
reposaient sur la berge, à côté. Et elle fredonnait un air mélancolique. La
scène rappela étrangement la première fois où Nil l’avait vue. Elle plongea
sans prévenir sous l’eau, interrompant son chant. Elle réapparut à l’opposé,
dans la lumière de la Lune. Ses cheveux mouillés luisaient dans la nuit. Elle
se remit à fredonner, plus doucement, puis s’arrêta. Elle contempla alors les étoiles,
et Nil la contempla. Elena retourna sur la berge où se trouvaient ses
vêtements. Elle attrapa un grand drap et l’enroula autour d’elle pour se
sécher.
Nil
choisit ce moment pour la rejoindre. En l’entendant s’approcher, elle sursauta.
- Depuis
combien de temps es-tu là ? chuchota-t-elle.
- Je ne sais
pas trop… quelques minutes, bredouilla le garçon.
- Bon, viens
t’asseoir alors.
L’adolescent
s’assit finalement à côté d’elle, pour murmurer :
- C’était
beau… quand… quand tu chantais.
- Merci, mais
ça n’est pas censé l’être. C’est un chant de mon village. On le chante… une
semaine avant son anniversaire, pour être protégé et remercier les dieux de
nous laisser en vie.
- Une semaine
avant son anniversaire ? répéta Nil. Mais alors…
- Et oui,
soupira Elena. Je viens seulement de le réaliser, mais cela fait maintenant un
an que nous avons quitté nos villages.
Un
long silence suivit ses paroles. Après quelques instants restés immobiles,
Elena frissonna. Nil hésita, mais la prit au final dans ses bras. Elle sourit
et ferma les yeux. Ils restèrent sans bruit, sans rien se dire très longtemps.
Soudain, un cri d’oiseau fit sursauter Nil qui décida de retourner près du feu.
Il voulut se lever, mais Elena s’était endormie. Alors Nil l’allongea lentement
par terre et la recouvrit soigneusement de son drap en essayant de ne pas trop
penser qu’elle était nue dessous. Il repartit en courant vers le petit camp
qu’ils avaient dressé ensemble.
Roy
accueillit l’adolescent avec joie. Celui-ci caressa brièvement l’animal, puis
attrapa les sacs de provisions et de vêtements et fit signe au youm de le
suivre. Ils retournèrent tous les deux rejoindre Elena après avoir éteint les
dernières braises du feu encore chaudes. Elle dormait toujours. Nil sortit une
grande et épaisse couette pour se tenir au chaud. Il s’allongea aux côtés
d’Elena et prit le temps de la couvrir avec la couverture. Les yeux enfin clos,
Nil s’endormit rapidement.
L’aurore
remplaça bientôt la nuit et Nil dut se résigner à se lever pour repartir le
plus vite possible. Elena était debout et s’était habillée. Elle foudroya Nil
du regard, et malgré sa torpeur encore présente, elle cracha :
- J’espère
Nil… j’espère que tu n’en as pas profité !
- Quoi ?
- Ne fais pas
l’étonné ! J’étais… j’étais nue !
Nil,
ébahi, ne sentit pas ses joues s’empourprer d’un coup.
- Mais non,
balbutia-t-il. Jamais je n’aurais fait ça ! Tu me croyais comme ça ?
- Euh… non.
Excuse-moi.
Nil
se leva et alla se rincer le visage avec l’eau du point d’eau. Il se retourna
et au même moment, Elena murmura :
- C’est un
peu… gênant comme situation, hein ?
Elle
se mit à rire doucement mais Nil la regardait bizarrement. Elle se forçait à
rire.
- Tu es sûre
que ça va ? demanda-t-il.
- O-oui.
Il
s’approcha d’elle, car il voyait bien que ça n’allait pas. Il voulut lui
prendre la main, mais Elena l’évita soudainement.
- Hé ?
Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien du tout.
L’adolescente
recula un peu, son visage était tordu par la peur. Et, sans prévenir, elle
s’enfuit en courant malgré les appels de Nil.
Sans
perdre de temps, le garçon attrapa les deux sacs et partit à sa recherche, plus
inquiet que jamais. Roy courait devant. Après deux heures sans rien trouver,
Nil s’affala par terre, désespéré.
Elena
se trouvait dans une grande plaine rocailleuse, assise près d’une grosse
crevasse, sur un rocher. Elle tremblait. De peur, d’inquiétude. Elle se tenait toute
recroquevillée. Chaque bruit la faisait sursauter, chaque courant d’air lui
arrachait un gémissement. Elle ne le croyait pas. Elle ne le croyait pas. Elle
ne le croyait pas.
Après
être restée quelques instants immobile, elle se remit en marche. Anxieuse comme
jamais, elle se mit à détaler comme si elle était suivie. Elle poussa un long
cri de surprise. Puis ce cri devint un hurlement de douleur. Elle était tombée
dans la crevasse.
Nil
n’en pouvait plus. La nuit commençait déjà à tomber. Il était harassé ; ses
mains étaient pleines de sang à force de tenir les sacs, son visage était
recouvert de poussière, ses jambes tremblaient à cause de sa marche forcée. Il
ne la trouvait pas. Il observa le panorama devant lequel il se trouvait. Une
plaine rocailleuse, pleine de rochers, de cailloux, de crevasses, de trous,
d’herbe jaune et d’arbres morts. Une boule au ventre le saisit, sans qu’il
sache pourquoi. Alors il avança, tout droit. Là-bas. Il lâcha les deux sacs.
Roy le suivait en silence. Le vent ébouriffa les cheveux de Nil. Il sursauta.
Quelqu’un appelait à l’aide. Sans écouter ses douleurs, Nil se précipita. Il
arriva devant un amas de rochers et tendit de nouveau l’oreille.
C’était
une voix fatiguée et triste. Elena était là, près de lui. Il continua de chercher,
sans réfléchir et atterrit devant une crevasse. Il se baissa et écarquilla les
yeux. Les grands yeux verts d’Elena le fixaient.
- Nil !
s’exclama-t-elle. Tu es là ! Excuse-moi, excuse-moi !
- Elena !
J’arrive… je… ne t’inquiète pas !
Il
arracha une branche d’arbre et l’engouffra dans la crevasse, pour qu’Elena
l’attrape, ce qu’elle fit sans tarder. Il tira de toutes ses forces et vit avec
horreur ses doigts ensanglantés. Il souffla et mit toutes ses forces pour
sortir Elena. Elle tendit son autre bras vers Nil qui l’attrapa fébrilement. Il
la remonta vers lui en tremblant. Il ne vit pas la jambe cassée. Il ne vit pas
les larmes. Il vit seulement qu’elle était là, avec lui. Ils se blottirent l’un
contre l’autre, et même Roy ne bougeait pas. Puis Elena chuchota.
- Je ne te
croyais pas. Je pensais… je… j’avais peur.
- C’est pas
grave… moi aussi j’ai eu peur quand tu es partie.
- Mais tes
mains, Nil ! Elles sont en sang !
- Et toi, ta
jambe ! Elle est toute tordue !
- Ce n’est
rien, je vais bien, souffla Elena en tentant de se relever.
Son visage se crispa, et
elle retomba lourdement au sol.
- Je crois,
articula-t-elle, qu’elle s’est cassée.
- Oh non !
Comment on va pouvoir continuer ? Il faut absolument que l’on trouve quelque
part où te soigner !
- On ne peut
pas, Nil, murmura Elena. Il fait déjà presque nuit. Restons ici. Nous sommes
tous les deux épuisés.
- Mais je ne
peux pas te laisser comme ça !
- On n’a pas
le choix.
Elena s’assit contre un
rocher en soupirant. Roy accourut vers elle et la jeune fille l’attrapa en
souriant. Nil se leva lentement et partit chercher les deux sacs. En revenant,
Elena essayait d’attraper une branche, en vain. L’adolescent s’en saisit et le
donna à Elena.
- Je vais
essayer de faire une attelle, souffla-t-elle en prenant une branche qu’elle
avait mise de côté.
- Attends, je
vais chercher un morceau de tissu.
Il fouilla dans les sacs
après avoir donner de quoi manger à Elena à Roy. Soudain, sa main buta dans un
objet rectangulaire. Il le sortit du sac. Le livre que lui avait donné Hovan.
Nil mourrait d’envie de l’ouvrir. Non. Il ne devait pas. Il le remit dans le
sac et trouva finalement un foulard noir.
- Voilà !
s’exclama Nil après avoir terminé l’attelle.
- Merci, dit
Elena.
Elle se redressa un peu, et
réussit à se lever avec maladresse, aidée par Nil. Elle marcha quelques mètres,
le visage crispé. En revenant près de Nil, elle trébucha, mais se rattrapa de
justesse.
- Ça va ?
s’inquiéta-t-il.
- Oui.
Finalement, Elena revint
s’asseoir et contempla le ciel un moment.
- Il fait déjà
nuit.
- …
Nil
ne disait rien. Ses yeux verts semblaient remplis d’émotion. Il rapprocha ses
jambes contre son torse. Elena ne le questionna pas.
- Tes cheveux
ont beaucoup poussé, remarqua-t-elle.
L’adolescent
se redressa en l’entendant dire ça. Ça faisait longtemps qu’on ne lui avait pas
fait de remarque sur ses cheveux.
-
Les
tiens aussi, fit-il en souriant.
La
lune était haute dans le ciel. Il faisait froid. Elena avait une jambe cassée.
Ils ne savaient pas où ils étaient. Mais ils étaient heureux.
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